Ouvertures théoriques

Phénoménologie du langage
et analyse sémiotique du discours

Ahmed Kharbouch
Université Mohamed Premier, Oujda (Maroc)

 

Publié en ligne le 26 décembre 2022
https://doi.org/10.23925/2763-700X.2022n4.60279
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Introduction

La phénoménologie du langage que promeut Jean-Claude Coquet dans ses deux derniers livres table sur l’existence d’une continuité nécessaire, souvent occultée ou méconnue, entre le langage, la réalité et l’être1. Elle soutient l’idée que les « choses mêmes » sont partie prenante de l’activité de langage, aussi bien écrite qu’orale. Plus précisément et formulé en termes empruntés à la philosophie grecque, le langage est le lieu de l’articulation hiérarchisée de la phusis (la « force de vie » ou la « nature »2) et du logos (la raison ou la pensée discursive) ; hiérarchisée, car la phusis est conçue comme le fondement du logos et correspond, de cette manière, au Lebenswelt que la phénoménologie s’est évertuée à penser à partir de Husserl.

L’ambivalence du langage : phusis et logos

Pour mener à bien sa réflexion sur le lien entre les dimensions constitutives du langage, Coquet ne s’est pas appuyé sur la phénoménologie classique, celle qui grosso modo est centrée sur l’Ego transcendantal et sur les conditions de la connaissance ; il a plutôt choisi de se référer à la phénoménologie « occulte » ou « implicite » dans les grands textes d’Emile Benveniste et d’Aristote, ou encore aux « analyses phénoménologiques », en deçà de la « philosophie proprement dite », de Merleau-Ponty consacrées à la « chair » et au « monde-de-la vie »3. Ces trois penseurs ont eu, pour lui, le grand mérite de ne pas oblitérer la relation de continuité entre le langage et l’être ou le rapport nécessaire du logos à la phusis.

1 J.-Cl. Coquet, Phusis et Logos. Pour une phénoménologie du langage, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2007 ; Phénoménologie du langage, Limoges, Lambert-Lucas, 2022.


2 Il s’agit, selon P. Aubenque, d’« un des concepts fondamentaux de la philosophie grecque » que les Romains ont traduit par natura et qui n’est pas à rabattre totalement sur le « concept moderne de nature ». En effet, il renvoie chez Aristote à un « principe immanent à l’être naturel » et chez les Stoïciens à un « principe immanent d’organisation, d’une finalité interne », dans la mesure où les Grecs comprenaient « le sens de l’être comme physis » (« Physis », Dictionnaire de la philosophie, Paris, Albin Michel / Encyclopaedia Universalis, 2000, pp. 1493-1499).


3 M. Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 133.

En effet, traditionnellement et d’une manière générale, le lien entre le langage et la réalité a été surtout pensé comme un rapport de référence ou de renvoi entre deux ensembles indépendants : le langage d’un côté, la réalité de l’autre. La pensée logique a pu ainsi traiter du problème de la vérité comme d’un problème d’adéquation référentielle. Et vu le prestige de la logique, la plupart des disciplines ayant trait au langage ont adopté aisément et naturellement cette attitude. La phénoménologie du langage considère au contraire que la non-séparation entre la réalité et le langage et donc entre la phusis et le logos est une prise de position qui se situe clairement en-deçà de la pensée logique, car elle constitue en fait son fondement phénoménologique.

C’est en essayant de penser ce « fondement » de la pensée rationnelle que Paul Ricœur note de prime abord qu’il est le lieu d’un « paradoxe » dans la mesure où « le langage n’est pas premier, ni même autonome, il est seulement l’expression seconde d’une appréhension de la réalité articulée plus bas que lui, et pourtant c’est toujours dans le langage que sa propre dépendance à ce qui le précède vient se dire »4. Pour sa part, Emile Benveniste, que Coquet considère comme l’introducteur des thèmes phénoménologiques dans la réflexion sur le langage5, pense, lui, ce « fondement » non comme la manifestation d’un paradoxe, mais comme correspondant à la « fonction » même du langage, par opposition à sa « forme », objet habituel du linguiste. Cette fonction n’est autre que de « re-produire la réalité ». Autrement dit, à travers l’activité de langage, orale ou écrite, l’« événement » (ce qui est perçu et éprouvé) et « l’expérience de l’événement » (ce qui est pensé et jugé) sont produits une seconde fois pour être partagés avec autrui6.

4 P. Ricœur, « Philosophies du langage », Dictionnaire de la philosophie, op. cit., p. 950.


5 J.-Cl. Coquet, La quête du sens. Le langage en question, Paris, P.U.F., 1997, pp. 73-79. Le chapitre intitulé « Note sur Benveniste et la phénoménologie » est dédicacé à Paul Ricœur.


6 E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, vol. I, 1966, pp. 24-25.

C’est donc cette co-présence nécessaire des « affections » que le monde détermine chez nous, en tant que sujets parlants et écrivants, et de l’activité intellectuelle que nous engageons pour les penser et les juger, qui fait que pour Coquet le langage est bi-dimensionnel ou ambivalent. Concrètement, et c’est ce qui constitue l’originalité de cette prise de position, le langage possède un double versant : « sémiotique » et « existentiel ». En effet, comme l’exprime Benveniste, « bien avant de servir à communiquer, le langage sert à vivre »7. C’est ainsi qu’on peut comprendre le fait que les œuvres de langage que nous lisons et interprétons nous offrent, selon les termes de Ricœur, un « monde habitable » qui est « un monde virtuel dans quoi il serait possible d’habiter (…) un monde autre qui corresponde à des possibilités autres d’exister, à des possibilités qui soient nos possibles les plus propres »8.

7 Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, vol. II, 1974, p. 217.


8 La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 288.

Les prédicats cognitifs et les prédicats somatiques

Pour bien situer l’option phénoménologique de Coquet, rapprochons-la de celle défendue par Hendrik Pos, un phénoménologue qui a beaucoup réfléchi sur les problèmes du langage et de la linguistique9. Dans le cadre de la perspective phénoménologique commune (« aller aux choses mêmes »), Pos essaie de distinguer, d’un côté, la participation impensée à l’activité du langage, à savoir l’activité quotidienne du locuteur qui est essentiellement de nature « pré-scientifique », et, de l’autre, l’observation, de nature objectivante, adoptée par le linguiste travaillant dans le cadre d’une « science du langage ». Pos considère la première comme le socle, le Lebenswelt de la seconde. Coquet tient évidemment compte de ce premier dédoublement « subjectal », pourrait-on dire, mais il s’appuie en plus, précisément pour « aller aux choses mêmes », sur un autre dédoublement qui touche cette fois l’objet de la participation ou de l’observation, le langage, et détermine son ambivalence. En effet, l’activité de langage en elle-même est à la fois phusis et logos, la seconde dimension, la plus apparente, n’étant qu’une « traduction » de la première, fondamentale. L’observateur est donc lui aussi convié, dans sa visée scientifique, à tenir compte de cette déhiscence « objectale ».

9 Cf. le recueil d’articles publié sous le titre Ecrits sur le langage, Genève, Sdvig press, 2013. Voir en particulier le chapitre « Phénoménologie et linguistique ».

De cette façon, Coquet invite les analystes à rendre justice à « l’ambiguïté fondamentale »10 du langage en montrant qu’elle est la conséquence obligée de la présence hiérarchique en son sein des deux dimensions : la phusis comme socle et fondement du logos. Le logos traduit la phusis dans ses catégories et celle-ci transparaît nécessairement, pour l’analyste voulant aller aux « choses-mêmes », à travers cette traduction. On doit de ce fait être attentif non seulement aux « prédicats cognitifs » relevant du logos (penser le monde) mais aussi aux « prédicats somatiques » traduisant le contact premier et charnel avec le réel (vivre le monde), car leur rôle est de noter « la perception, la durée d’un phénomène, son apparition ou sa disparition, ou le contact, en particulier la position dans l’espace, la proximité ou l’éloignement, ou le degré d’un affect, etc. »11.

10 Expression empruntée à A. Culioli, Pour une linguistique de l’énonciation, II, Paris, Ophrys, p. 44.


11 J.-Cl. Coquet, Phusis et Logos, op. cit., p. 8. Voir aussi Phénoménologie du langage, op. cit., pp. 41-46.

Donnons un exemple de ce dédoublement prédicatif en nous appuyant sur un texte familier aux sémioticiens qui ont pratiqué leurs « classiques » ; nous voulons parler du passage du roman Palomar d’Italo Calvino analysé par Greimas dans son beau petit livre sur l’expérience esthétique12. Arrêtons-nous sur les prédicats qui notent des procès perceptifs : /voir/ et /toucher/. Parfois, dans certains textes, comme dans l’extrait de Palomar, ces prédicats traduisent non pas un procès perceptif habituel où il s’agit fondamentalement de reconnaître un objet du monde commun, mais des expériences perceptives « pour-soi », où l’objet n’est plus un « objet » aux contours délimités mais un « quasi-objet »13. De même, le « sujet », ou plus exactement l’instance énonçante projetée textuellement comme à l’origine du procès perceptif, n’est plus un sujet mais un « quasi-sujet » ou un « non-sujet ». C’est ainsi que dans le passage de Palomar, le narrateur « re-produit » pour nous, pour notre très grand plaisir, une expérience perceptive singulière vécue par son personnage, Palomar. Notons que le narrateur réduit son angle de vue pour épouser celui de Palomar (en narratologie, on parle d’une « vision avec »). Le narrateur tient par procuration le « discours » que peut tenir le personnage. Celui-ci se trouve en présence d’une jeune femme qui, sur une plage déserte, « prend le soleil les seins nus ». Palomar se trouve déchiré entre l’observation de la bienséance de la morale bourgeoise qui lui dicte de détourner les yeux et son sens esthétique interpellé par la beauté de la poitrine féminine. Il s’agit pour lui, en quelque sorte, de trouver une « bonne distance » (« da una certa distanza ») d’observation ou de contemplation qui lui permettrait d’apprécier la beauté offerte à son regard tout en obéissant aux impératifs de la bienséance. Pour cela, il faut que son regard soit à la fois « évasif et protecteur », insistant et non insistant !

12 De l’Imperfection, Périgueux, Fanlac, 1987. Le passage en italien et sa version française se trouvent pp. 25-26. Le même passage du roman de Calvino est cité et commenté par Coquet dans Phénoménologie du langage, pp. 42-43 et 197-198.


13 Phénoménologie du langage, p. 199. Greimas note dans son commentaire que par « de petits procédés, en apparence insignifiants, de l’écriture », le texte opère un « changement d’isotopie qui intervient entre la vue “ordinaire” et la “vision extraordinaire” du monde » (p. 27).

Nous avons ainsi affaire, au cours de cette expérience esthétique, à un « quasi-objet ». Car il ne s’agit pas de percevoir (/voir/ et /toucher/) le sein nu de la femme mais plutôt ses qualités esthétiques suscitées justement par le corps percevant — qualité visuelle, le « guizzo », qui fait du sein « una visione », une sorte d’épiphanie, et qualité tactile : « la pelle tesa », la « consistenza ». Le déroulement de l’expérience dans le temps montre aussi que nous avons affaire à deux phases où le /voir/ domine, entre lesquelles s’intercale la phase du /toucher/. La première phase connaît deux types de /voir/ : celui d’une instance judicative qui vise à exercer une « objectivité impartiale » et celui d’un corps jouissant qui perçoit le guizzo. L’instance corporelle est impliquée aussi par le verbe « effleurer » (sfiorare qu’on peut aussi traduire par « frôler ») car nous sommes clairement ici en présence d’un « clivage du moi » (Ichspaltung) qui, pour Freud, met en cause « principalement les relations du moi et de la “réalité” » et qui apparaît dans la schizophrénie ou, moins dramatiquement, dans le fétichisme, comme c’est clairement le cas pour Palomar14. Dans ces cas régis par le désir ou, plus précisément, par la pulsion, le « réel » et le « non-réel » « intersectent, au risque de faire disparaître ou du moins s’amoindrir la notion même de réalité [commune] »15. Mais comme nous sommes dans le cas d’une pulsion fétichiste, le logos ne tarde pas à reprendre le dessus. C’est ainsi que dans la dernière phase du processus expérienciel transcrit par Calvino, on voit réapparaître finalement l’instance judicative avec son regard à la fois « évasif et protecteur ».

14 Cf. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1967, p. 67.


15 J.-Cl. Coquet, Le discours et son sujet. Essai de grammaire modale, Paris, Klincksieck, 1984, p. 176.

A la lumière de ce texte, on peut préciser la définition du « quasi-objet » associé à certaines formes de prédicats somatiques : nous avons affaire à des quasi-objets quand ce qui est visé par les procès perceptifs, ce ne sont pas les objets eux-mêmes mais leurs qualités, qui, elles, ne sont pas immédiatement perceptibles et ne relèvent pas du monde du sens commun. Cela a pour conséquence une absence de séparation tranchée entre le « réel » et le « non-réel », ce qui donne lieu à un discours dont le support véridictoire est non pas les habituels « Il vrai » ou « On vrai » mais un « Je vrai » ou un « Ça vrai »16. Notons aussi, pour terminer, que comme, dans le texte de Calvino, le prédicat /voir/ débouche insensiblement sur le procès /toucher/ en faisant passer d’une manière tout aussi insensible le sein du statut d’objet à celui de quasi-objet, on peut dire que nous sommes en présence d’un cas de synesthésie, à la manière baudelairienne, qui n’est, de ce fait, que cette intersection entre le réel et le non-réel que seule rend possible l’instance corporelle immergée dans la phusis.

16 Sur ces quatre « supports véridictoires » du discours, cf. J.-Cl. Coquet, Le discours et son sujet, op. cit., pp. 175-186 et Phusis et Logos, op. cit., pp. 135-152.

La théorie des instances énonçantes
comme sémiotique discursive

Comme le lecteur l’aura compris à partir de ces quelques remarques sur le texte de Calvino, la phénoménologie du langage débouche, pour Coquet, sur une approche sémiotique du discours ou, pour faire court, sur une sémiotique discursive, appelée par lui « théorie des instances énonçantes ». Il s’agit bien d’une théorie sémiotique puisqu’elle se donne pour objet de connaissance la sémiosis. Articulant les ensembles signifiants, la sémiosis est définissable comme l’association étroite, lors de l’énonciation (c’est-à-dire de la production du sens), d’un plan de l’expression constitué par le faire verbal et/ou non verbal du producteur de la signification et d’un plan du contenu qui n’est autre que la manifestation de l’identité de ce producteur, et donc de son rapport au monde, à la fois charnel (phusis) et cognitif (logos)17. En effet, d’une manière générale, le « sujet sémiotique » ne se contente pas seulement de dire et d’agir, mais, de plus, il énonce son identité en réponse à la question implicite de l’instance de réception (lecteur, spectateur, analyste) : qui est-il pour dire ou faire ce qu’il dit ou ce qu’il fait ? Le « discours » est conçu dans cette optique comme centré, dans une relation de dialogue qu’il instaure nécessairement avec son instance de réception, sur la réponse à la question primordiale pour le phénoménologue interrogeant l’activité de langage et le « parcours d’identité » qu’elle implique nécessairement : qui ?18 En termes hjelmsleviens, l’énoncé n’est, pour ainsi dire, que le plan de « dénotation » pour l’énonciation de l’identité qui constitue, de cette façon, le plan « connotatif » de la sémiosis : le « sujet sémiotique » s’énonce dans et à travers son énoncé. « S’énoncer » veut dire essentiellement se faire connaître d’autrui comme doté d’une certaine identité (être quelque chose ou quelqu’un) ou, en termes phénoménologiques, comme l’origine de l’expression d’un rapport au monde. De cette manière, la pratique sémiotique s’articule sur la phénoménologie du langage, ce qui lui permet de tenir compte du lien étroit qui se tisse, dans le « discours », entre le vécu et le sens19.

17 Pour E. Benveniste, « dans l’énonciation, la langue se trouve employée à l’expression d’un certain rapport au monde ». Problèmes…, op. cit., vol. II, p. 82.


18 Cf. P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Gallimard (Folio), 2004, pp. 382-384.


19 Il s’agit d’une option générale défendue par la sémiotique de deuxième génération qui estime que « la saisie des significations discursivement articulées n’exclut pas mais incorpore l’expérience sensible d’un monde éprouvé comme faisant immédiatement sens ». E. Landowski, Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004, p. 6.

Arrêtons-nous un moment sur la notion de « discours » et sur ses implications pour la théorie sémiotique. Dans une première approche, on peut dire que le « discours » est une organisation signifiante dont le « trait fondamental » et « premier » est d’être constituée « par un ensemble de phrases où quelqu’un dit quelque chose à quelqu’un à propos de quelque chose »20. Le « discours » correspond donc à la dimension transphrastique du langage articulé et son spectre conceptuel se trouve aisément homologable à celui du terme « texte ». C’est de cette façon qu’il est généralement considéré dans la tradition sémiotique inaugurée par Greimas. Il faut cependant noter que certains sémioticiens pensent que leur discipline doit aussi intégrer les « pratiques vécues » — des « présences humaines en action » —, autrement dit non seulement le « discours » sur les « choses » mais les choses mêmes21. Cette généralisation de l’objet de la sémiotique est d’ailleurs pressentie par Greimas lui-même quand il affirme qu’« on peut identifier le concept de discours avec celui de procès sémiotique », autrement dit avec « un ensemble de pratiques discursives : pratiques linguistiques (comportements verbaux) et non linguistiques (comportement somatiques signifiants, manifestés par les ordres sensoriels) »22. Il n’en reste pas moins que ce qui fait finalement signifier les « pratiques vécues », ce sont en fait les discours tenus sur elles, étant donné que dans l’univers sémantique, le langage constitue l’interprétant ultime de toutes les formations signifiantes qu’on peut trouver dans l’espace social global. En effet, avant même Benveniste, qui considérait que la langue est « l’interprétant de la société »23, Greimas affirmait dans son texte fondateur de 1956 que la langue en tant que « totalité des messages échangés », autrement dit des discours tenus par les membres de la société, constitue le « signifiant » recouvrant « un vaste signifié dont l’extension correspondra, à peu de choses près, au concept de culture »24.

20 P. Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, II, Paris, Seuil, 1986, p. 110.


21 Voir par exemple E. Landowski, op. cit., pp. 15-16 et 26-29.


22 A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, p. 102.


23 E. Benveniste, Problèmes…, vol. II, p. 95.


24 A.J. Greimas, « L’actualité du saussurisme », Le français moderne, 3, 1956, p. 196.

Le « texte » apporte cependant une spécification supplémentaire au terme général de « discours » dans la mesure où

l’écriture rend le texte autonome à l’égard de l’intention de l’auteur. Ce que le texte signifie ne coïncide plus avec ce que l’auteur a voulu dire. Signification verbale, c’est-à-dire textuelle, et signification mentale, c’est-à-dire psychologique, ont désormais des destins différents (...) ; autrement dit, grâce à l’écriture, le « monde » du texte peut faire éclater le monde de l’auteur.25

25 P. Ricœur, op. cit., p. 111.

Cela est possible parce que dans le cas du texte, à la « proximité du sujet parlant à sa propre parole se substitue un rapport complexe de l’auteur au texte, qui permet de dire que l’auteur est institué par le texte, qu’il se tient lui-même dans l’espace de signification tracé et inscrit par l’écriture ; le texte est le lieu même où l’auteur advient »26. Dans cet ordre d’idées, le terme « auteur », comme l’affirme Ricœur, « dit plus que locuteur », dans la mesure où il désigne « l’artisan en œuvres du langage ». Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, « l’objectivation du discours » sous forme de texte ou d’œuvre « ne supprime pas le trait fondamental, et premier du discours, à savoir qu’il est constitué par un ensemble de phrases où quelqu’un dit quelque chose à quelqu’un à propos de quelque chose »27.

26 Ibid., p. 142. Nous soulignons.


27 Ibid., pp. 110-111.

La catégorie de l’« auteur » est partie prenante de l’analyse textuelle pratiquée dans le cadre de la théorie des instances énonçantes. Il y représente l’équivalent de l’« instance énonçante d’origine ». Dans le « processus de la production du discours », il revient en effet à l’auteur, instance énonçante originaire, de « déployer l’événement », c’est-à-dire de le « re-produire ». Dans cette entreprise, chacune des composantes de l’identité sémiotique de l’auteur intervient dans la mise en forme discursive de cette « re-production » :

la mise en forme verbale est assurée par le sujet, la composante judicative [de l’instance d’origine] (…) quelle que soit par ailleurs l’instance a quo qu’elle transcrit, soit le non-sujet, ou son complémentaire, le tiers immanent, ou encore le complémentaire [du sujet], le tiers transcendant. Ces quatre composantes de l’instance d’origine, c’est-à-dire de l’auteur tel qu’il se fait connaître à nous dans son activité de langage (…) sont doublement dépendants, d’une part du régime d’autonomie ou d’hétéronomie dont elles relèvent, d’autre part de l’axe sur lequel elles sont placées, celui de la phusis ou celui du logos ».28

28 J.-Cl. Coquet, Phusis et Logos, p. 71.

Ainsi, identifier, dans le cadre de l’analyse sémiotique, les instances énonçantes auxquelles est rapporté l’organisation transphrastique du discours, plus spécifiquement du texte, c’est en fait mettre au jour la structuration signifiante propre à ces ensembles signifiants étant donné que « la configuration singulière de l’œuvre et la configuration singulière de l’auteur sont strictement corrélatives »29. De ce fait, l’analyse sémiotique du discours en termes d’instances énonçantes rend possible la détermination de cette « configuration » de l’auteur, plus précisément de son rapport au monde, aussi bien phusis que logos.

29 P. Ricœur, op. cit., p. 110.

Les instances énonçantes dans l’analyse sémiotique du texte

Pour donner un exemple textuel précis de ce processus aboutissant à la construction de l’identité sémiotique de l’auteur et du monde habitable qu’il propose aux lecteurs, nous allons prendre appui sur l’analyse des cinq premiers paragraphes d’un roman populaire de la série des James Bond, Goldfinger, de Ian Fleming :

James Bond, dans la salle d’attente de l’aéroport de Miami, se livrait à des considérations sur la vie et la mort, après avoir avalé deux doubles bourbons.
Tuer faisait partie de son métier. La chose ne lui plaisait guère, mais, lorsqu’il y était obligé, il la faisait de son mieux et l’oubliait le plus vite possible. En tant qu’agent secret dont le matricule était précédé du rarissime double 0 (ce qui lui conférait le droit de tuer où et quand il le jugeait bon), il était de son devoir de considérer la mort avec autant de calme qu’un chirurgien. Lorsque cela arrivait, c’est qu’il n’y avait pas d’autre solution à envisager. Les regrets étaient superflus. Bien plus, l’idée de la mort était profondément ancrée en James Bond.
Malgré cela, il avait ressenti une curieuse impression lorsque le Mexicain était mort. Non pas que l’homme n’eût pas mérité de mourir : c’était un de ces bandits qu’à Mexico on nomme capungo, c’est-à-dire un tueur qui tue pour quarante pesos, somme ridicule équivalant à peu près à vingt-cinq shillings. (Quand même, on avait dû lui donner davantage pour essayer de tuer Bond).
Il suffisait de le voir pour comprendre qu’il avait dû faire de la corde raide entre la souffrance et la misère depuis qu’il avait été mis au monde. Il était presque certain que sa mort avait été une délivrance.
Pourtant lorsque (moins de vingt-quatre heures plus tôt) Bond l’avait tué, la mort s’était emparée du capungo avec une telle rapidité que l’exécutant avait eu l’impression de voir, sur les lèvres du Mexicain, le souffle de la vie qui s’échappait comme un oiseau.30

30 Paris, Robert Laffont, 1986, p. 5.

Notre choix de ce passage n’est pas innocent. On le verra plus loin, notre objectif est de rapprocher et de différencier notre propre analyse (qui cherchera à ne pas oblitérer la dimension de la phusis) de celle menée par un autre sémioticien, Umberto Eco, qui, lui, table uniquement sur le logos. Les romans de Fleming, on le sait, ont fait l’objet d’une étude importante d’Eco, centrée sur les « structures narratives »31.

Goldfinger est le septième roman de la série, mais pour comprendre les remarques qui vont suivre, il faut se référer au premier, Casino royal, où James Bond confie ses doutes sur la validité morale de son métier à son collègue Mathis. Celui-ci balaie ses doutes existentiels en recommandant à Bond de ne jamais se poser ce genre de questions et de se contenter d’être une parfaite « machine » à tuer au service de son pays :

31 U. Eco, « James Bond : une combinatoire narrative », Communications, 8, 1966, et « Le strutture narrative in Fleming », Il superuomo di massa. Retorica e ideologia nel romanzo popolare, Milan, Bompiani, 1986.

Entourez-vous d’êtres humains, mon cher James. Il est plus facile de se battre pour eux que pour des principes. Mais, ajouta-t-il en riant, ne me décevez pas en devenant humain vous-même. Nous perdrions une merveilleuse machine.32

32 I. Fleming, Casino royal, Paris, Plon, 1986, p. 130.

Cependant, nous constatons que, malgré ces conseils et cela dès le début de Goldfinger, notre héros se pose justement ce genre de questions en se livrant à « des considérations sur la vie et la mort ».

La première forme que prend la figure de l’auteur de ce texte en tant qu’instance énonçante d’origine est celle d’un narrateur qui se présente à nous comme une instance judicative (un sujet) visant avant tout à expliquer le monde mis en scène : si Bond se livre à « des considérations sur la vie et la mort », c’est parce qu’il a « avalé deux doubles bourbons ». Le whisky prête à la rêverie, c’est bien connu. Cette volonté de tout justifier est aussi clairement manifeste dans les parenthèses à l’adresse de son lecteur que le narrateur insère au milieu de la transcription du contenu des « réflexions » de Bond.

Cependant, quand le centre discursif devient Bond — à savoir, en l’occurrence, un « émetteur » du discours au second degré33, dans la mesure où le narrateur, grâce au procédé formel de la « vision avec », accorde son regard sur celui du personnage —, son identité en tant qu’instance énonçante projetée se pluralise et se diversifie. Au cours de sa rêverie à l’aéroport, il apparaît comme un quasi-sujet, c’est-à-dire comme une instance dont le jugement est affaibli sous l’action envahissante du corps : comme l’explique le narrateur, c’est le fait d’avoir « avalé deux double bourbons » qui l’a amené à « se livrer à des considérations sur la vie et la mort » alors qu’« il était de son devoir de considérer la mort avec autant de calme qu’un chirurgien ». Puis, dans le deuxième paragraphe, nous avons affaire clairement, avec la mention à la fois de la fonction sociale de Bond (« agent secret ») et du fait qu’il est doté du « matricule précédé du rarissime double 0 », à la manifestation de l’instance transcendante (l’institution britannique du contre-espionnage) qui fait de Bond un non-sujet « fonctionnel », au faire stéréotypé et programmé comme le serait celui d’une machine. C’est en effet cette instance institutionnelle qui lui dicte son « devoir de considérer la mort avec autant de calme qu’un chirurgien ».

33 Nous sommes ici en présence de ce cas de narration dont parle R. Barthes, où le narrateur limite « son récit à ce que peuvent observer ou savoir les personnages : tout se passe comme si chaque personnage était tour à tour l’émetteur du récit » (« Analyse structurale du récit », Communications, 8, 1966, p. 25).

Cependant, une autre force, cette fois immanente et naturelle, manifeste sa présence, d’abord à travers les réflexions que fait Bond à propos du capungo comme pour en justifier l’assassinat (« il était presque certain que sa mort avait été une délivrance »), et ensuite durant la remémoration de « l’impression bizarre » ressentie par le protagoniste au moment de tuer son ennemi. Cette force immanente a un nom : la pitié, définie par les dictionnaires d’usage comme la « sympathie » qui naît de la perception des souffrances d’autrui et qui « fait souhaiter qu’elles soient soulagées ». Il s’agit d’une passion souvent considérée comme à l’origine et au fondement des sociétés humaines34. Le capungo n’est pas un compatriote de Bond ; il ne le connaît pas, il est même son ennemi mortel, et pourtant, il éprouve de la pitié pour lui. Il est évident qu’en l’occurrence, le protagoniste s’énonce comme n’étant pas réduit seulement à assurer la fonction d’une « merveilleuse machine » destinée par l’institution sociale à tuer efficacement.

34 A la suite de Rousseau, Cl. Lévi-Strauss note que l’homme est doté d’une « faculté essentielle » qui est « à la fois naturelle et culturelle, affective et rationnelle, animale et humaine », et qui n’est autre que la « pitié, découlant de l’identification à un autrui qui n’est pas seulement un parent, un proche, un compatriote, mais un homme quelconque, du moment qu’il est homme, bien plus : un être vivant quelconque, du moment qu’il est vivant » (Anthropologie structurale, II, Paris, Plon, 1973, p. 50).

En réfléchissant sur ce qui lui arrivé, Bond se projette dans le passé (« moins de 24h plus tôt », précise le narrateur) pour essayer de caractériser l’expérience perceptive singulière vécue par lui et qu’il définit comme une « curieuse impression ». Il s’agit d’un phénomène perceptible qui s’est imposé à lui, quand, siège de la passion qu’est la pitié, il se trouve transformé insensiblement en non-sujet, privé de jugement. L’identification à autrui s’est manifestée chez lui d’une façon « curieuse » : immédiate et fugace comme une sorte d’épiphanie. En effet, Bond, instance corporelle, perçoit ce qui n’est pas normalement perceptible : un événement (la vie qui quitte le corps du capungo) à la fois très rapide (« une telle rapidité ») et assez lent « s’échapper comme un oiseau ». Pour le sujet-observateur situé dans le « Mitwelt » (le monde commun), la rapidité et la lenteur sont deux propriétés distinctes des phénomènes perceptibles et ne peuvent se conjoindre pour caractériser ce qui arrive dans le monde du sens commun, car nous serons en l’occurrence en face d’une sorte d’hallucination visuelle, ce qui explique qu’au moment de la reprise réflexive, Bond juge son expérience perceptive comme une « curieuse impression ». Mais pour le non-sujet corporel, envahi par la passion qu’est la pitié et vivant l’instant circonscrit par son action, tel n’est pas le cas, dans la mesure où il se trouve être le « centre de perspective » sur un monde-pour-soi (« Selbstwelt »). Il s’agit là du côté unique et difficilement traduisible en termes linguistiques de nos expériences corporelles singulières. Sur le plan de la véridiction, nous nous trouvons, en tant qu’instance de réception, en présence d’un discours dont le support véridictoire est « ça vrai », à savoir le discours du corps sentant envahi par la passion. Cette instance corporelle, siège de l’action du tiers immanent (la pitié), vit donc un événement perceptif extraordinaire re-produit35 au cours de la rêverie de Bond transcrite par le narrateur. On peut considérer, d’après cette « re-production », que l’expérience passionnelle de notre protagoniste se déroule en trois phases liées : l’action du tiers immanent (la pitié) impliquant la passion qui envahit le sujet soumis au tiers transcendant (l’institution sociale), en le transformant en un non-sujet qui, de ce fait, en tant que siège de la passion, a une perception « curieuse » du monde dont il constitue le centre de perspective.

35 Ne l’oublions pas : « le langage re-produit la réalité », c’est sa « fonction » (E. Benveniste, Problèmes, I, op. cit., pp. 24-25).

Il est à relever aussi que le phénomène, objet de la perception « curieuse » de Bond, ne peut être dit justement « objet », à savoir selon « la définition classique », une « réalité matérielle indépendante de l’observateur »36, avec un contenu bien défini et des caractéristiques qui permettent de le reconnaître. Il s’agit en l’occurrence d’un « quasi-objet » que seule perçoit l’instance corporelle au cours d’un moment très bref (l’« épiphanie » dont nous parlions plus haut) où Bond se trouve privé de jugement et donc de la capacité de distinguer le réel du non-réel qui caractérise l’instance judicative qu’est le sujet37. Le phénomène perçu associe l’extrême rapidité avec un mouvement progressif plus ou moins lent, ce qui est difficilement exprimable en termes de temporalité commune. De cette façon, il apparaît que deux traits constituent le quasi-objet en tant que phénomène : l’immédiateté temporelle et la proximité spatiale (les mêmes traits caractérisent l’expérience de « voyeur » de Palomar). Avec l’affleurement de la pitié, le discours tenu par provision par Bond quitte le domaine du logos, où les frontières entre le réel et le non réel sont bien tracées, pour celui de la phusis, où les séparations entre les deux domaines véridictoires n’existent plus ou, du moins, deviennent poreuses.

36 J.-Cl. Coquet, La quête du sens, op. cit., p. 230.


37 Il s’agit ici aussi, comme pour Palomar, d’un « clivage du moi ».

Quelle est donc, en fin de compte, l’identité de l’auteur du texte que nous venons de parcourir, ou, plus précisément, comment l’identifier, non pas en tant que personne civile, bien sûr, mais en tant que centre organisateur du discours à travers lequel il s’énonce et se fait connaître ? Pour donner une réponse brève en accord avec les données textuelles, on peut dire qu’il s’agit d’une instance énonçante au statut complexe dans la mesure où il est à l’écoute et à la source de la transmission, sous forme de projections diverses rendues possibles par l’« énonciation écrite »38, de quatre composantes signifiantes39 : s’il transcrit fondamentalement l’activité du sujet et du tiers transcendant, il n’est pas sourd néanmoins aux sollicitations des forces naturelles et à leur pouvoir sur l’homme, c’est-à-dire à l’énonciation de l’instance immanente qu’est la passion envahissant le corps sentant en en faisant le lieu de sa manifestation à travers l’activité perceptive. Tous les auteurs, même des plus « classiques », ne sont pas toujours aussi perméables aux sollicitations de la phusis que l’est cet écrivain de romans populaires. En tout cas, contrairement à ce que considère Eco, il ne nous apparaît pas comme « un ingénieur en romans pour consommation de masse » voué, en tant qu’« artisan » à mettre en place une « combinatoire narrative », plus ou moins complexe, donnant lieu à une « machine » efficace qui offre au lecteur une « évasion » ponctuelle loin des préoccupations quotidiennes40.

L’idée que se fait Eco au sujet de Fleming en tant qu’auteur de la série des James Bond ne doit pas nous étonner dans la mesure où il se réclame essentiellement de la pensée sémiotique de Peirce. Selon cette optique, le traitement de la sémiosis met exclusivement l’accent sur l’activité mentale et ses catégories (qui, on le sait, se réalisent à travers l’« abduction » et le raisonnement hypothético-déductif), et donc sur une pensée réglée par l’« absence de personne »41 comme centre producteur. De fait, quand Eco présente son « auteur modèle », il choisit de le faire sur le mode de l’impersonnel : il « serait en allemand un Es, en anglais il pourrait être un it ». On peut compléter la liste des indicateurs formels en disant qu’en français, il correspondrait à un ça. En effet, pour Eco, l’« auteur modèle » n’est autre que cette « voix » qui « se manifeste comme stratégie narrative, comme ensemble d’instructions (…) auxquelles on doit obéir lorsqu’on décide de se comporter comme lecteur modèle »42. Notons que les termes de « stratégie » et d’« instructions » renvoient clairement au domaine du computationnel et de la machine à calculer. On dirait qu’en mettant l’accent seulement sur « la combinatoire narrative » et l’« artigianato narrativo », Eco n’est sensible, dans le texte de Fleming, qu’aux manifestations du logos et ignore superbement tout élément de la phusis qui s’y trouve manifesté.

Conclusion

Nous ne pouvons donc, pour conclure, que suivre ici encore Jean-Claude Coquet en soulignant à notre tour que nous, sémioticiens, « avons tout intérêt à intégrer l’univers de la phusis dans nos analyses »43 — et cela, précisément, en faisant une place à la phénoménologie du langage dans la pratique de la sémiotique.

38 E. Benveniste (Problèmes, II, p. 88) distingue utilement entre l’énonciation orale et l’énonciation écrite dans la mesure où, à la différence de la première, la seconde « se meut sur deux plans : « l’écrivain [l’instance d’origine] s’énonce en écrivant et, à l’intérieur de son écriture, il fait des individus [les instances projetées] s’énoncer ».


39 Rappelons que ces composantes correspondent à différents statuts « instanciels » : l’instance judicative (sujet et quasi-sujet), l’instance fonctionnelle ou corporelle (le non-sujet), l’instance immanente (le tiers immanent) et l’instance transcendante (le tiers transcendant).


40 U. Eco, « James Bond : une combinatoire narrative », art. cit., pp. 98 et 83 ; et id., Il superuomo di massa, op. cit., p. 84 : « L’opera di Fleming rappresenta una riuscita macchina evasiva, effetto di alto artigianato narrativo ».


41 J.-Cl. Coquet, Phusis et logos…, op. cit., pp. 73-74.


42 U. Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, Paris, Grasset, 1996, p. 21.


43 J.-Cl. Coquet, « La rencontre avec le monde. L’expérience et sa prise en compte par le langage », Phénoménologie du langage, op. cit., p. 40 (texte reproduit dans les Bonnes feuilles du présent numéro).


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1 J.-Cl. Coquet, Phusis et Logos. Pour une phénoménologie du langage, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2007 ; Phénoménologie du langage, Limoges, Lambert-Lucas, 2022.

2 Il s’agit, selon P. Aubenque, d’« un des concepts fondamentaux de la philosophie grecque » que les Romains ont traduit par natura et qui n’est pas à rabattre totalement sur le « concept moderne de nature ». En effet, il renvoie chez Aristote à un « principe immanent à l’être naturel » et chez les Stoïciens à un « principe immanent d’organisation, d’une finalité interne », dans la mesure où les Grecs comprenaient « le sens de l’être comme physis » (« Physis », Dictionnaire de la philosophie, Paris, Albin Michel / Encyclopaedia Universalis, 2000, pp. 1493-1499).

3 M. Merleau-Ponty, Signes, Paris, Gallimard, 1960, p. 133.

4 P. Ricœur, « Philosophies du langage », Dictionnaire de la philosophie, op. cit., p. 950.

5 J.-Cl. Coquet, La quête du sens. Le langage en question, Paris, P.U.F., 1997, pp. 73-79. Le chapitre intitulé « Note sur Benveniste et la phénoménologie » est dédicacé à Paul Ricœur.

6 E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, vol. I, 1966, pp. 24-25.

7 Problèmes de linguistique générale, Paris, Gallimard, vol. II, 1974, p. 217.

8 La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975, p. 288.

9 Cf. le recueil d’articles publié sous le titre Ecrits sur le langage, Genève, Sdvig press, 2013. Voir en particulier le chapitre « Phénoménologie et linguistique ».

10 Expression empruntée à A. Culioli, Pour une linguistique de l’énonciation, II, Paris, Ophrys, p. 44.

11 J.-Cl. Coquet, Phusis et Logos, op. cit., p. 8. Voir aussi Phénoménologie du langage, op. cit., pp. 41-46.

12 De l’Imperfection, Périgueux, Fanlac, 1987. Le passage en italien et sa version française se trouvent pp. 25-26. Le même passage du roman de Calvino est cité et commenté par Coquet dans Phénoménologie du langage, pp. 42-43 et 197-198.

13 Phénoménologie du langage, p. 199. Greimas note dans son commentaire que par « de petits procédés, en apparence insignifiants, de l’écriture », le texte opère un « changement d’isotopie qui intervient entre la vue “ordinaire” et la “vision extraordinaire” du monde » (p. 27).

14 Cf. J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, Paris, P.U.F., 1967, p. 67.

15 J.-Cl. Coquet, Le discours et son sujet. Essai de grammaire modale, Paris, Klincksieck, 1984, p. 176.

16 Sur ces quatre « supports véridictoires » du discours, cf. J.-Cl. Coquet, Le discours et son sujet, op. cit., pp. 175-186 et Phusis et Logos, op. cit., pp. 135-152.

17 Pour E. Benveniste, « dans l’énonciation, la langue se trouve employée à l’expression d’un certain rapport au monde ». Problèmes…, op. cit., vol. II, p. 82.

18 Cf. P. Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Gallimard (Folio), 2004, pp. 382-384.

19 Il s’agit d’une option générale défendue par la sémiotique de deuxième génération qui estime que « la saisie des significations discursivement articulées n’exclut pas mais incorpore l’expérience sensible d’un monde éprouvé comme faisant immédiatement sens ». E. Landowski, Passions sans nom, Paris, P.U.F., 2004, p. 6.

20 P. Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, II, Paris, Seuil, 1986, p. 110.

21 Voir par exemple E. Landowski, op. cit., pp. 15-16 et 26-29.

22 A.J. Greimas et J. Courtés, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette, 1979, p. 102.

23 E. Benveniste, Problèmes…, vol. II, p. 95.

24 A.J. Greimas, « L’actualité du saussurisme », Le français moderne, 3, 1956, p. 196.

25 P. Ricœur, op. cit., p. 111.

26 Ibid., p. 142. Nous soulignons.

27 Ibid., pp. 110-111.

28 J.-Cl. Coquet, Phusis et Logos, p. 71.

29 P. Ricœur, op. cit., p. 110.

30 Paris, Robert Laffont, 1986, p. 5.

31 U. Eco, « James Bond : une combinatoire narrative », Communications, 8, 1966, et « Le strutture narrative in Fleming », Il superuomo di massa. Retorica e ideologia nel romanzo popolare, Milan, Bompiani, 1986.

32 I. Fleming, Casino royal, Paris, Plon, 1986, p. 130.

33 Nous sommes ici en présence de ce cas de narration dont parle R. Barthes, où le narrateur limite « son récit à ce que peuvent observer ou savoir les personnages : tout se passe comme si chaque personnage était tour à tour l’émetteur du récit » (« Analyse structurale du récit », Communications, 8, 1966, p. 25).

34 A la suite de Rousseau, Cl. Lévi-Strauss note que l’homme est doté d’une « faculté essentielle » qui est « à la fois naturelle et culturelle, affective et rationnelle, animale et humaine », et qui n’est autre que la « pitié, découlant de l’identification à un autrui qui n’est pas seulement un parent, un proche, un compatriote, mais un homme quelconque, du moment qu’il est homme, bien plus : un être vivant quelconque, du moment qu’il est vivant » (Anthropologie structurale, II, Paris, Plon, 1973, p. 50).

35 Ne l’oublions pas : « le langage re-produit la réalité », c’est sa « fonction » (E. Benveniste, Problèmes, I, op. cit., pp. 24-25).

36 J.-Cl. Coquet, La quête du sens, op. cit., p. 230.

37 Il s’agit ici aussi, comme pour Palomar, d’un « clivage du moi ».

38 E. Benveniste (Problèmes, II, p. 88) distingue utilement entre l’énonciation orale et l’énonciation écrite dans la mesure où, à la différence de la première, la seconde « se meut sur deux plans : « l’écrivain [l’instance d’origine] s’énonce en écrivant et, à l’intérieur de son écriture, il fait des individus [les instances projetées] s’énoncer ».

39 Rappelons que ces composantes correspondent à différents statuts « instanciels » : l’instance judicative (sujet et quasi-sujet), l’instance fonctionnelle ou corporelle (le non-sujet), l’instance immanente (le tiers immanent) et l’instance transcendante (le tiers transcendant).

40 U. Eco, « James Bond : une combinatoire narrative », art. cit., pp. 98 et 83 ; et id., Il superuomo di massa, op. cit., p. 84 : « L’opera di Fleming rappresenta una riuscita macchina evasiva, effetto di alto artigianato narrativo ».

41 J.-Cl. Coquet, Phusis et logos…, op. cit., pp. 73-74.

42 U. Eco, Six promenades dans les bois du roman et d’ailleurs, Paris, Grasset, 1996, p. 21.

43 J.-Cl. Coquet, « La rencontre avec le monde. L’expérience et sa prise en compte par le langage », Phénoménologie du langage, op. cit., p. 40 (texte reproduit dans les Bonnes feuilles du présent numéro).

 

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Résumé : La sémiotique des instances énonçantes élaborée par J.-Cl. Coquet prend appui sur une phénoménologie du langage qui met en avant l’ambivalence constitutive de son objet et sa bipartition en deux dimensions complémentaires et hiérarchisées, la phusis et le logos. Selon cette perspective, le discours constitue le lieu de manifestation de foyers d’énonciation divers et variés qui contribuent chacun à constituer, pour l’instance de réception, l’identité sémiotique — et donc le rapport au monde — de l’instance énonçante d’origine qu’est le producteur du discours (ou l’« auteur » du texte). Au lieu de prendre exclusivement en considération les prédicats cognitifs (le logos) comme c’est souvent le cas ailleurs, cette manière de considérer le discours permet de leur associer les « prédicats somatiques », expressions de la phusis, c’est-à-dire du socle phénoménologique du logos. A titre d’exemple final, l’étude d’un extrait du roman d’I. Fleming, Goldfinger, vise à montrer l’intérêt qu’il y a, pour l’analyse sémiotique, à intégrer l’univers de la phusis.


Resumo : A semiótica das “instâncias enunciativas” proposta por J.-C. Coquet alicerça-se em uma filosofia da linguagem que sublinha a ambivalência constitutiva de seu objeto e o modo como a linguagem se articula em duas dimensões complementárias, hierarquicamente superpostas, a phusis e o logos. Nesta perspectiva, o discurso representa o lugar onde distintas instâncias enunciativas contribuem para determinar (do ponto de vista do receptor) a identidade semiótica do enunciador, produtor do discurso (ou “autor” do texto), delineando a sua relação com o mundo. Em vez de considerar apenas (como ocorre frequentemente) os predicados cognitivos (o logos), esta abordagem permite articular com eles os predicados “somáticos” que, ao mesmo tempo que exprimem a phusis, constituem a base fenomenológica do logos. A análise de um trecho de Goldfinger, de I. Fleming, intenta mostrar o interesse da integração do universo da phusis no quadro da análise semiótica.


Abstract : J.-C. Coquet’s “semiotics of the uttering instances” stems from a phenomenology of language that stresses the constitutive ambivalence of its object and the way how language splits into two complementary and hierarchically organised dimensions, namely phusis and logos. From this perspective, discourse constitutes the place where a plurality of enunciating agencies manifest themselves and contribute to shape — for the receiver — the semiotic identity of the uttering instance, producer of the discourse (or “author” of the text), thereby delineating its relationship to the world. Instead of considering only (as is often the case elsewhere) “cognitive” predicates (the logos), this way of approaching discourse permits to combine the cognitive dimension with “somatic” predicates which, at the same time as they express phusis, represent the phenomenological basis of the logos. A brief analysis of a passage of I. Fleming’s Goldfinger is meant to show the interest, for semiotic analysis, of integrating the universe of the phusis.


Mots clefs : discours, énonciation, instance, phénoménologie, phusis vs logos, prédicats cognitifs vs somatiques, rapport au monde, texte.


Auteurs cités : Roland Barthes, Emile Benveniste, Jean-Claude Coquet, Antoine Culioli, Umberto Eco, Algirdas J. Greimas, Eric Landowski, Claude Lévi-Strauss, Maurice Merleau-Ponty, Hendrik Pos, Paul Ricœur.


Plan :

Introduction

L’ambivalence du langage : phusis et logos

Les prédicats cognitifs et les prédicats somatiques

La théorie des instances énonçantes comme sémiotique discursive

Les instances énonçantes dans l’analyse sémiotique du texte

Conclusion

 

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Recebido em 12/08/2022. / Aceito em 10/10/2022.