L’ethos du nihilisme

The Ethos of Nihilism

Andrea Potestà
Doutor em Filosofia pela Universidade de Estrasburgo (Francia). Professor profesor na Pontifícia Universidade Católica de Chile (UCA-Chile). Contato: apotesta@uc.cl


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Résumé: Dans le Gai savoir, Nietzsche décrit la situation de l’homme face à la mort de Dieu par le recours à l’image de l’« errance dans un désert infini ». L’article prétend discuter l’enjeu philosophique de cette « errance », afin d’exhiber la spécificité de l’expérience nietzschéenne du nihilisme et de comprendre dans quelle mesure par ce sujet Nietzsche définit un ethos, inouï dans l’histoire de la pensée, qui l’oppose à la tradition nihiliste russe. Au même moment, l’article avance l’hypothèse selon laquelle cette « errance » annoncée par Nietzsche s’effectue très précisément dans le mode d’écriture de la littérature, qui contamine avec Nietzsche la parole philosophique. On veut montrer qu’il y a une liaison très forte entre le problème du nihilisme nietzschéen et l’exigence d’un langage qui n’est plus celui de la vérité, mais celui de la fiction ou d’un dire « errant » qui reste confiné au rien-à-dire. Face au problème du nihilisme, la philosophie doit – d’un devoir que l’on éclaircira ici à travers une brève référence à Heidegger et Nancy – rejoindre l’écriture littéraire ou se faire à travers elle.

Mots clés: Nietzsche ; désert ; écriture ; littérature ; affirmation.

Abstract: In The Gay Science, Nietzsche describes the situation of man facing the death of God by using the image of “wandering in the infinite desert”. The article claims to discuss the philosophical issue of this “wandering”, in order to exhibit the specificity of Nietzsche’s experience of nihilism and to understand to what extent through this subject Nietzsche defines an unprecedented ethos in the history of thought which opposes him to Russian nihilistic tradition. At the same time, the article puts forward the hypothesis according to which this “wandering” announced by Nietzsche takes place very precisely in the mode of writing of the literature, which contaminates in Nietzsche the philosophical speech. We want to show that there is a very strong connection between the problem of Nietzschean nihilism and the requirement of a language which is no longer that of truth, but that of fiction or of a saying by “wandering” which remains confined to nothing to say. Faced with the problem of nihilism, philosophy must – and we will clarify this necessity through a short reference to Heidegger and Nancy – join literary writing or be done through it.

Keywords: Nietzsche; desert; writing; literature; affirmation.

Le langage ne commence qu’avec le vide […]. Je ne parle pas pour dire quelque chose, mais c’est un rien qui demande à parler, rien ne parle, rien trouve son être dans la parole et l’être de la parole n’est rien. Cette formule explique pourquoi l’idéal de la littérature a pu être celui-ci : ne rien dire, parler pour ne rien dire. Ce n’est pas la rêverie d’un nihilisme de luxe.

M. Blanchot (BLANCHOT, 1949, p. 314)

Introduction

Dans l’œuvre mature de Nietzsche, le nihilisme opère comme une force qui annule toutes les distinctions, les hiérarchies et les valeurs établies. Il brise le sens du monde et toute recherche d’une évasion de celui-ci ; il efface toute valeur définie sous le ciel de la raison et efface le ciel lui-même. Le nihilisme est l’annonce d’un abandon sans salut, qui équivaut au plus profond anéantissement du sens. En même temps, le nihilisme n’annule pas le monde : il le laisse dans un étrange écart, suspendu sur ces propres pas. Le nihilisme n’impose pas d’abord une résignation, tout comme n’en vient pas à la fin ou la destruction du monde. Il oblige juste à congeler toute prétention à faire sens ou à trouver un sens unique de ce monde. Il ne s’agit donc pas uniquement (ni même principalement) d’une poussée négative, même si en effet le nihil vient occuper toute la scène.  

Nietzsche condense cette tension aporétique interne au nihilisme par une formule qui se trouve dans le Gai savoir : l’être humain se trouve désormais, dit Nietzsche, destiné a une « errance dans le désert infini » (Nietzsche, 2000, p. 161). Le désert, bien évidemment, indique la désolation d’un paysage sans variation ni espoir, défini par l’impossibilité de croissance de quoi que ce soit et l’inutilité de tout mouvement. Dans le désert – un désert qui en plus tend à « s’accroitre », selon la célèbre formule de Nietzsche[1] –, on ne peut que s’abandonner au désespoir. Et, cependant, Nietzsche parle bien d’une « errance » et donc d’un mouvement. 

Or, de quel mouvement s’agit-il ? Comment trouver la force de bouger quand on se retrouve dans la plus profonde absence d’orientation et la plus grave perte de valeur de tout geste significatif ? De quel élan erre-t-on dans un désert ?

1. 

Si l’on veut prendre au sérieux ces questions, il faut d’abord essayer de rentrer en résonance avec la disposition ou l’ethos propre de l’acte de pensée de ce Nietzsche qui, depuis la venue de Zarathoustra, semble ériger le rien comme principe de tout. Il faut comprendre la spécificité de Nietzsche en le différenciant d’autres modalité du « rien ». Pour cela, il est nécessaire d’abord passer par quelques remarques préliminaires. Au moins trois :

1. Tout d’abord, il est important de marquer une distance générale de Nietzsche de la tradition philosophique : si bien le rien a toujours accompagné et troublé la pensée, la question du désert nietzschéen a un tout autre statut. Bien sûr, on n’est pas dans le faux quand on dit que Gorgias, peut-être, était-il, dans un sens, le premier « nihiliste » de l’histoire de l’occident. « Rien n’est, et quand bien même il était, il ne serait pas connaissable ; et quand bien même il était connaissable, il ne serait pas communicable [anhermeneuton] » (Gorgias, 1988, p. 1023 [trad. mod.]). La pulsion fondamentale vers le rien était peut-être déjà entièrement là. Ou alors, on pourrait trouver une trace décisive de cette pulsion vers le nihil à un autre moment, à un autre extrême de l’histoire de la métaphysique, en sautant à l’année 1714 quand Leibniz, avec la formule très connue des Principes de la nature et de la grâce, se demande : « pourquoi il y a-t-il plutôt quelque chose que rien ? », et surtout avec l’incroyable explication qui est donnée tout de suite : « Car le rien – dit Leibniz – est plus simple et plus facile que quelque chose » (LEIBNIZ, 1996, p. 228). Ici le rien n’est pas seulement comparé à l’être, comme chez Gorgias, mais il est en effet assumé comme le plus primitif, le plus plausible. L’histoire des usages philosophiques du rien est donc faite d’une constellation d’interprètes et de positions bien radicales autour de son institution dans la logique du sens. 

Et cependant, dans la mesure où chez Nietzsche le nihilisme agit comme le véritable horizon de sa dernière philosophie et devient « la ratio cognoscendi de la volonté de puissance en général » (DELEUZE, 1962, p. 198), le nihilisme chez Nietzsche n’est pas la simple venue du rien, l’œuvre de la négation comme telle. Il n’est pas seulement un prétendu reversement de l’hégélianisme (le rien opposé à la raison).

2. Par-là, j’en viens à une deuxième remarque préliminaire : il faut marquer un point important de distance (non pas chronologique mais strictement philosophique) de Nietzsche du contexte initial dans lequel ce mot de « nihilisme » s’est imposé. Tourgueniev présente en effet la chose selon l’opposition que l’on vient de refuser. On peut lire dans Pères et enfants : avant « nous avions des hégeliens ; maintenant ce sont des nihilistes » (TOURGUENIEV, 1863, p. 40). Les nihilistes ces sont ici des hegeliens qui ont en quelque sorte métamorphosés, qui ont changé de peau et renversé ses principes. 

Mais c’est là toute la question de Nietzsche : entre la pensée dialectique et le nihilisme s’agit-il seulement d’un changement de peau ? Peut-on passer de l’un a l’autre ? Y a-t-il une brèche qui autorise ou qui rend possible ce mouvement ? Si l’on vient de Hegel, suffit-il de le nier (ou de se dénier) pour arriver au nihilisme ? Ou alors, le nihilisme, lui, tout comme ne va nulle part ne provient non plus de nulle part ? Provenir : n’est pas en effet cela déjà une racine qui fait appartenance, qui fait héritage et qui donc détaille un certain cadre d’origine et de sens ? Le nihiliste ne doit-il pas plutôt, pour être tel, n’être fait que d’avenir et d’incertitude ? L’hégélianisme ne fait-il pas en revanche un effet de tenue, de saisie, de reprise, de relève, inconciliables avec l’ethos du nihilisme ? 

En ce sens, la deuxième remarque est la suivante : le nihilisme se diffuse initialement en tant que mouvement réactif (contre les hégeliens), mais cela est très précisément tout ce que Nietzsche refusera. 

Nous le savons, ce mot de nihilisme se fait populaire dans le contexte philosophique et social Russe. (Je ne fais pas allusion à la première fois qu’il a été utilisé[2], mais à une des premières fois où il a été revendiqué, c’est-à-dire où il a été utilisé pour indiquer une posture qu’on veut faire propre, pour marquer une disposition nouvelle et pour souligner une tendance de l’actualité). Le mythe, mais ce n’en est, bien évidemment, qu’un, raconte ceci : on est en Russie, en 1859 c’est le conflit de deux générations, les pères qui s’inspirent des idéaux humanistes traditionnels et la nouvelle génération des jeunes, rebelle, matérialiste et sans illusions. Dans le roman de Tourgueniev, Bazarov est un jeune médecin qui appartient à la génération des « enfants » et qui dénonce le mode de vie des pères, indifférents et sourds à ce qui se passe dans la société. Un de ces pères se demande alors si Bazarov n’est pas un dangereux « négateur » des valeurs et de l’ordre social existants, c’est-à-dire, dit-il, un « nihiliste » (TOURGUENIEV, 1863, p. 38). C’est la vieille génération donc qui dit ça à Bazarov, en utilisant ce mot de « nihilisme » initialement comme une offense. Mais – voilà le tournant – Bazarov accepte volontiers cette appellation : il déclare vouloir en réalité nier l’ordre établi et avec lui toutes les valeurs d’une époque qui vit dans une opulente indifférence. Être nihiliste signifie pour lui détruire l’ancien, le nier, et par là s’engager dans la tâche sociale concrète qu’il s’est choisie, celle, en l’occurrence, de médecin (il mourra en effet d’une infection contractée en soignant un malade). Bazarov est – comme le définit Tourgueniev – « l’homme nouveau », le « héros de notre temps » qui a fait la dure école du travail et du sacrifice, non pas au nom d’une valeur suprasensible, mais pour ne pas céder à l’indolence d’une noblesse fatiguée et inutile (cf. BONAMOUR, 1998). 

Voilà donc le sens de la phrase que nous citions : avant « nous avions des hégeliens ; maintenant ce sont des nihilistes ». Contre ces nobles pour qui tout allait bien et pour qui existe un monde de valeurs établies et absolues, viennent maintenant des jeunes matérialistes qui ne s’assouvissent devant rien, qui ne cherchent même pas à se satisfaire, qui travaillent et meurent pour rien, pour le rien. Afin de s’opposer à l’affirmation des valeurs absolues propre des idéalistes, ils viennent opposer la valeur de la réalité et du concret. Il s’agit à tout égard d’opposer une valeur aux autres. 

C’est ainsi qu’en parle, à peu près au même moment, le révolutionnaire russe Alexandr Herzen qui décrit la logique de l’action à partir du nihilisme et le nouveau ethos du révolutionnaire : 

Le nihilisme […] c’est une logique sans sténose [i.e. sans rétrécissement ou restrictions], une science sans dogmes, c’est une soumission inconditionnée à l’expérience, et l’acceptation résignée de toutes les conséquences, quelles qu’elles soient […]. Le nihilisme ne transforme pas quelque chose en rien, mais révèle que le rien qu’on prend pour quelque chose est une illusion optique (HERZEN, 1869, p. 158).

Selon Herzen, donc, de façon similaire au roman de Tourgueniev, le nihiliste c’est celui qui découvre le rien là où communément on voyait quelque chose et qui donc ne fait que nier et s’opposer aux valeurs établis (cf. Podoroga, 2019). 

Or, du point de vue nietzschéen ce mode du nihilisme est bien évidemment nourri d’une intention réactive, en cherchant la purification critique contre toute idéologie, et se maintient de cette façon dans une opposition dialectique.

 

3. Troisième remarque préalable, avant d’en venir à l’« errance dans le désert infini »,  c’est une simple conséquence de ce que l’on vient de voir : il devient clair que, même si de ce contexte initial russe, qui a vu la diffusion du motif du nihilisme, à Nietzsche le pas semble bien évidemment très bref, en réalité c’est bien dans ce pas que se joue quelque chose d’absolument nouveau et décisif pour la notion du nihilisme. Aux intuitions et aux raisons philosophiques de l’athéisme et au phénomène de la dissolution des valeurs, se mêle maintenant un retour réflexif nouveau vécu comme une crise sans précédents. Maintenant le nihiliste n’attaque plus seulement les choses autour de lui, les présumées vérités des valeurs, mais se retrouve sans plus d’options (même plus celle du sacrifice réalisé par le médecin de Tourgueniev). Le nihiliste doit donc en venir à une autodestruction, sans pour autant trouver d’échappatoires pessimistes ou suicidaires, à la manière du jeun Werther de Goethe (GOETHE, 1999). L’homme se trouve défini à partir d’un contraste insoluble, une inquiétante étrangeté qui le rend indolent et fatigué de la vie, jusqu’à questionner même le désir de rébellion. C’est déjà avec Dostoïevski que le nihilisme implique l’ambivalence, non seulement des « enfants » contre les « pères », mais de l’homme contre lui-même. (C’est ce qui se fera explicite comme trait décisif du nihilisme chez Sartre, Camus, Céline, Cioran et d’autres expériences philosophico-littéraires qui s’inspireront de cette révolte de l’homme contre lui-même).

Or, tout cela est véritablement le point de départ du nihilisme contemporaine, de cette « errance dans un désert infini » dont nous parle Nietzsche en premier. Ce n’est plus seulement question du grand schéma de Gorgias ou de Leibniz qui es unilatéral et destructeur ; et on n’est pas non plus en train d’opposer un principe (celui des « pères ») à l’autre (celui des « enfants »). C’est bien plutôt l’entrée dans un régime de non-sens qui arrache tout, et qui sanctionne le rien, l’insignifiance, le défi victorieux au sens, le sans issue.

Le nihilisme nait autour d’un enjeu gravement contradictoire. Pour autant que je cherche à me défaire du fond, et même, pour autant que j’y arrive, ce fond sera fatalement rencontré. Voici le paradoxe où le nihiliste se trouve installé : plus j’y réussi plus j’échue. Plus je me défais des valeurs, plus je retrouve la valeur de cette réussite, ce qui fait que je ne peux plus trouver une posture adéquate pour habiter et rejouer cette équivalence contradictoire. En quelque sorte, le nihilisme devient tel quand, et seulement quand, il questionne et pose radicalement en échec le schème de la négativité ou, ce qui revient au même, le schème tragique (d’où la rupture de Nietzsche avec Schopenhauer et Wagner). 

Dans le schème tragique le héros représente certes l’exposition à l’abîme sans solution, mais, en même temps, il est aussi l’expression extrême, frustrée mais sans cesse ravivée – même dans la mort –, du désir de se réapproprier le divin en retrait (pensons par exemple au thème hölderlinien de la « réunification tragique [tragische Vereinigung] » (HÖLDERLIN, 1961, p. 287) qui décrit le geste extrême d’Antigone se donnant la mort et, par cela, se divinisant). Celle tragique est en ce sens une tentation, qui serait constitutive de la négativité, d’une reconversion dialectique sécrète, c’est-à-dire la tentation de faire en sorte que l’exposition à l’injustifiable de la souffrance soit quand même solidaire à un espoir de justification plus fort. En ce sens, on se retrouve dans cet axiome : plus le tragique indique l’exposition au manque de sens, plus il induit fatalement une sorte d’équilibre dans ce manque, construisant un ethos de ce pathos. Même quand il ne semble pas y avoir d’ethos adéquat à la souffrance, ou précisément à cause de ce manque, une grandeur spirituelle provient du seul fait de se tenir dans ce manque. Il s’agit de la logique du sacrifice, qui comporte une dialectique involontaire. Bien qu’une unité supérieure ne naisse pas comme dans la dialectique hégélienne qui surmonte la contradiction, en même temps surgit une consolation au sein de la pure négativité – et cela précisément à cause de la prétendue pureté de la négation. Le tragique, l’abandon absolu du sens établi, le sacrifice des « enfants » dont parle Tourgueniev, sont en effet, malgré eux, saturés de sens et réconcilient fatalement les contraires.

2.

Or, ce n’est pas du tout le cas de Nietzsche[3] (le Nietzche après Bayreuth, après la séparation avec Wagner). Venons donc à la formule de l’« errance dans le désert infini », par laquelle Nietzsche semble proposer un vrai ethos nouveau, sin fin et sans quiétude. 

Il y a bien entendu des différents nihilismes chez Nietzsche : par ce mot de nihilisme Nietzsche indique aussi le principe de conservation de la vie réactive, la dépréciation de la vie, la négation de la vie qui veut juste se conserver et survivre (le christianisme est selon Nietzsche une forme de nihilisme) ; mais il y a aussi chez Nietzsche un nihilisme dit « positif », « affirmatif », « achevé » (NIETZSCHE, 1976, p. 27), qui n’est pas la simple négation de la vie, mais la volonté du rien, l’enjeu de l’éternel retour qui brise son alliance avec les forces réactives et qui fait de la négation une négation des forces réactives elles-mêmes. Le nihilisme affirmatif se porte alors jusqu’à la Selbstzernagung, l’auto-érosion, selon la très belle expression que Nietzsche emprunte à Schopenhauer (NIETZSCHE, 1980, p. 231). Il s’agit là, je cite Nietzsche, de « la volonté de détruire, expression d’un instinct plus profond encore, de la volonté de se détruire : la volonté du néant » (NIETZSCHE, 1995, p. 15).

Voici l’enjeu du nihilisme et le principe de l’errance : « errer », dans cette métaphore, signifie débarrasser la pensée de toute recherche d’appui qui viendrait composer un nouveau sol du sens, afin d’en finir avec l’espoir frustré des « enfants » ou, dans le lexique nietzschéen, du « dernier homme ». Voici la citation complète de Nietzsche sur cette errance que l’on cite depuis le début : 

Que fîmes-nous en détachant cette terre de son soleil ? Où l’emporte sa course désormais ? Où nous emporte notre course ? Loin de tous les soleils ? Ne nous abîmons-nous pas dans une chute permanente ? Et ce en arrière, de coté, en avant, de tous les côtés ? Est-il encore un haut et un bas ? N’errons-nous pas comme à travers un désert infini ? L’espace vide ne répand-il pas son souffle sur nous ? Ne s’est-il pas mis à faire plus froid ? La nuit ne tombe-t-elle pas continuellement, et toujours plus de nuit ? (NIETZSCHE, 2000, p. 162)

Or, ce « plus de nuit » dont parle ici Nietzsche n’a plus rien de tragique (et donc dialectique). Il s’agit d’assumer que le sens est périmé, qu’il n’a plus cours. Il s’agit d’assécher le sens, de le désertifier, ou bien, ce qui revient au même, de le répandre partout (« en avant, en arrière, de côté, de tous les côtés »), dans l’errance sans fin. En cela on ne renonce pas au sens au profit de l’insensé – ce qui sent immédiatement le sacrifice –, ni au profit d’un sens caché (ce qui reviendrai à une dialectique classique), mais on se retrouve dans une dissémination infinie du sens lui-même, où le sens se fait « point de fuite de la jouissance », comme le dit Barthes (BARTHES, 1984, p. 95). C’est une désorientation qui ne revient ni à un pur égarement, ni à la recherche d’une réorientation. Comme Nietzsche le dit dans Ecce homo, le plus difficile de sa trajectoire pensante c’est de comprendre « comment celui qui dit non, fait non à un degré inouï, à tout ce à quoi jusque-là on disait oui, peut être néanmoins l’antithèse d’un esprit négateur » (NIETZSCHE, 2000 p. 1273) : le grand salut, la grande politique, le grand midi et toutes les familles d’expressions de Nietzsche pour qualifier cet éthos retrouvé indiquent autant nihilisme qu’affirmation, mais tout à la fois, c’est-à-dire, sans prélation ou dialectique de l’une sur l’autre, du rien sur le « oui » ou du « oui » sur le rien.

3.

Or, Nietzsche a besoin pour tout cela de trouver un nouveau langage. Et il faut que cet autre langage ne soit pas celui de Hegel. Mais il faut surtout qu’il soit autre d’une altérité elle-même autre que l’altérité dialectique. C’est donc à la fiction de Zarathoustra ou à la fragmentation des aphorismes qu’il s’adresse pour ne plus parler le langage de la vérité, le langage de la métaphysique, le langage de l’opposition des « pères » et des « enfants ». Devant le nihilisme, toute l’aventure de l’aletheia se fragmente et se dissout, le sol philosophique fait défaut, s’efface la possibilité de distinguer le descriptif du fictionnaire (cf. LACOUE-LABARTHE, 1979). 

Mais, alors même qu’on perçoit la gravité de ce manque, on s’aperçoit aussi du fait qu’en même temps ce n’est même plus question de ça, ce n’est plus question de la vérité. Avec le nihilisme, l’aventure de la vérité n’a tout simplement plus d’importance : il règne maintenant le « rien-de-sens » comme un secret qui habite chaque mot. Il n’y a plus de transcendance de la vérité, la vérité n’est plus un au-delà, fût-il négatif, du dire qu’il faudrait atteindre. Non, il ne reste plus rien au-delà du dire lui-même, et rien que dirige son chemin. Il ne reste plus qu’une errance de la parole, un langage vidé et retourné contre lui-même, retourné contre tout dit. Et cela, non pas au nom d’un « dire » plus profond, mais juste pour faire l’épreuve de la plus grande absence de la profondeur ou l’épreuve d’une impuissance (qui est, chez Nietzsche, l’effet paradoxal d’un excès de puissance). Le nihilisme s’adresse chez Nietzsche à une écriture dépossédée, une écriture qui fuit hors de nous, hors de la maitrise, renonçant à trouver quoi que ce soit qui ne soit pas une fiction narrative ou un masque. Lisons « Le chant de la mélancholie » de Zarathoustra qui me semble particulièrement claire à propos de ce saut vers la fiction littéraire : 

Amant de la vérité ? Toi ? […] 

Non pas ! Rien que poète ! […] 

Obligé de mentir, le sachant, le voulant 

et toujours avide de proie 

sous ses masques bariolés, 

masqué même à ses propres yeux 

une proie pour lui-même […]. 

Rien que fou, rien que poète ! 

Fertile seulement en discours bigarrés, 

hurlant des mots bariolés sous ses masques de fou, 

errant sur de ponts de paroles mensongers, 

sur des arc-en-ciel mensongers, 

parmi de faux ciels 

et de fausses terres 

errant, planant au hasard. 

Rien que fou, rien que poète ! (NIETZSCHE, 2000, p. 590).

La question du masque montre bien l’exigence de fiction (les « ponts mensongers de paroles ») dont se nourrit Nietzsche : la résistance au sens se fait en jouant le jeu du non-dit, en faisant comme si on ne disait pas tout et comme si la parole devait endurer un secret. Mais derrière le masque il y a toujours d’autre masques, et la parole philosophique se retrouve alors déformée, fissurée, tendue par la nécessité d’une « césure du spéculatif », selon la célèbre expression de Lacoue-Labarthe (Lacoue-Labarthe, 1986, p. 39). Cette suspension du langage que la littérature rend possible indique le plus propre du nihilisme, le tourment d’un dire sans réussite : une écriture par le négatif ou dans le négatif, mais qui ne cache rien de tout.

Observons au passage que cette idée de littérature définie par le négatif se maintient et prolifère dans la trajectoire philosophique contemporaine. Il suffit de penser aux suffixes négatifs des notions par lesquelles une tradition entière de philosophes se réfère à la littérature : le « désastre » chez Blanchot, le « dédit » chez Levinas, la « désistence » chez Lacoue-Labarthe, ou encore : la « mise-au-secret » chez Derrida. La littérature a été pensée dans une large tradition plus pour cette soustraction, ou pour ce pouvoir affaiblissant de la parole philosophique, que pour sa propre capacité évocatrice. C’est comme si par la parole de la littérature nous restions en face d’un imprésentable, d’une altérité privée de « face », qui par conséquent nous prive nous-mêmes de « face-à-face », délogeant ainsi la pensée et l’obligeant à se délivrer de toute supération, de toute relève.

Ainsi, si l’illusion de la force du langage est la dialectique et si la littérature est un mode du langage qui cherche à déjouer la force, qui la fragilise, le nihilisme, lui, semble bien être la force de cette fragilité, une force née de son propre épuisement, de sa propre impuissance. C’est la force qui est force de n’avoir aucune force. 

4.

Or, pour terminer, je voudrais réaliser deux brefs pas en avant, au-delà de Nietzsche, qui peuvent peut-être valider cette duplicité de l’errance dans le désert. Le premier pas va vers un mot de Heidegger, non pas de le Heidegger des cours Nietzsche qui ont lieu entre 1936 et 1946 (qui seront publié dans les deux volumes Nietzsche), mais le Heidegger de 1955 qui dédie un petit texte à Ernst Jünger (qui s’appelle Über de Linie), qui est une réponse critique à celui-ci. Dans ce texte, Heidegger revient sur le sujet du nihilisme et se demande en particulier si l’intention d’échapper au nihilisme a du sens, ou si c’est un problème mal posé. Et la réponse est peut-être d’importance pour notre argument. Il dit : « L’essence du nihilisme n’est ni curable ni incurable [Das Wesen des Nihilismus ist weder heilbar noch unheilbar] » (HEIDEGGER, 1976, p. 388). Autrement dit, le problème du nihilisme ne peut pas se poser comme un obstacle partiel duquel on pourrait guérir, et n’est pas non plus inguérissable au sens qu’il asphyxierait notre manière d’écrire jusqu’au point de nous l’empêcher. Non, le nihilisme « n’est ni curable ni incurable » au sens qu’il est plutôt un horizon d'existence, il représente un mode d’être, une posture fondamentale de la pensée et de l’écriture. 

La citation continue avec un autre détail que je trouve bien important : « Le nihilisme – dit Heidegger – est sans salut, alors qu’il est en même temps une référence singulière au salut [Es ist das Heil-lose, als dieses jedoch eine einzartige Verweisung ins Heile] » (HEIDEGGER, 1976, p. 388). Qu’est-ce que cela veut dire ? Est-ce que le salut, das Heile, signifie-t-il la même chose dans les deux usages de la phrase (le nihilisme serait sans salut mais en réalité avec un salut particulier) ? Dans ce cas, le nihilisme est inévitablement dialectique et n’est qu’un prolongement de l’ombre de Hegel (cf. BENSUSSAN, 2022, p. 22) : il ne retire le salut que pour mieux le restituer, en nous sauvant du rien. Mais peut-être, dans la différence entre un salut pensé comme échappatoire et un salut au-delà de ce qui est curable et de ce qui ne l’est pas, tout est en jeu. Il ne s’agit pas de comprendre l’essence non nihiliste du nihilisme. Toute tentative de dépasser le nihilisme (d’« outrepasser la ligne », selon les termes de ce texte) est encore nécessairement victime de la forme métaphasique classique de représenter le problème et est nécessairement oublieuse de l’être, et du paradoxe du sens et de la valeur. Il s’agit au contraire de changer d’éthos et d’assumer le nihilisme comme un état ou comme un mouvement sans fin. Errant comme par un désert infini : derrière chaque désert, il y en a un autre et un autre. On n’arrivera jamais à quelque chose, l’errance ne construira jamais un chemin, on ne pourra même pas dire que l’on avance : si le désert est vraiment infini, chaque pas se trouve à son centre orthogonal. 

Ce voyage sans fin est alors ce qui ne peut être compris que comme un nouveau mode de la pensée. Un mode sans récompense, sans demande de justice, sans appréhension, sans salut. Voici le salut tout particulier ouvert par le nihilisme : que le salut soit retiré, mais que l’absence de salut ne soit pas un manque, un défaut. L’absence de salut est ici un excès, une incandescence du sens, une exorbitance de possibles. 

5.

Mon dernier saut en avant, très bref, à peine esquissé en réalité, est à ce dernier propos, c’est-à-dire au propos d’une négativité sans défaut mais en excès. Je voudrais bien m’appuyer sur Jean-Luc Nancy, qui par ailleurs a noué sa réflexion philosophique autour de l’ex nihilo. Nancy excepte cette notion de son contexte théologique en y cherchant un recours pour penser autrement le « monde ». La pensée de la création ex nihilo est une autre forme de nihilisme et contient l’idée d’une absence de nécessité, l’absence de principes définis, rien de plus que ce qui est, mais en même temps l’associe à l’exubérance de la création. Le ex nihilo, observe Nancy, veut dire : « défaire tout principe, y compris celui du rien […] : vider rien (rem : la chose) de toute principialité : c’est la création » (NANCY, 2005, p. 39). Or, ici le rien ne pourrait être plus éloigné du non-être, du « néant », pensé comme simple négation de l’être, ou comme absence de toutes choses, dans la mesure où ce rien évoqué et cherché par Nancy vient en effet qualifier la création et l’être-là. « La création – dit-il – c’est le faire-de-rien, ce qui veut dire, faire et/ou laisser venir quelque chose qui fasse sens (présence, adresse) là où il n’y a "rien" » (cité en MICHAUD, 2013, p. 7-8). Ce nihilisme d’une res qui naît continûment ex nihilo est indissociable de la surabondance inépuisable d’un status nascendi.

Là on ne se retrouve ni devant la triste négativité négative au sens de Adorno, ni devant la négativité comme moyen d’affirmation de Hegel ou du tragique, mais (et toute une tradition ici est naturellement visé, de Kojève à Blanchot, de Bataille à Derrida, mais on pourrait aussi dire de Spinoza à Deleuze) devant une négativité qui s’allie secrètement et, par-là de manière non-instrumentale, à la possibilité de l’être, comme dis-position, comme éthos du possible. Cette négativité et ce nihilisme n’invitent donc plus à « en sortir » (de la négativité), ni à s’y enfoncer et s’y perdre, mais à affirmer sur le seuil, sur un seuil ouvert au vide.

 Ce nihilisme délivre un excès sur lui-même et n’est plus dans aucun sens un rapport au manque. Le nihil ici c’est le rien, la res, la chose même, et la négativité c’est très précisément ce qui fait la chose, sa création. Nancy le dit : « nihil = pas de sens posé, donné, disponible ni atteignable, mais arrivée, venue, événement qui ouvre le nihil lui-même » (NANCY, 2012, p. 524).

C’est là, certes, la plus totale dissipation de la mélancolie du nihiliste réactif, porteur du désir d’une révolution perdue et d’un nouveau dépoilement des affects. Mais le centre de l’argument du nihilisme actif nietzschéen est maintenu : le monde n’a plus de sens, et cette absence de sens est tout le sens, ouvre tous les possibles. Il nous faut, observe Nancy, dans La vérité de la démocratie, cette notion troublante de « démocratie nietzschéenne » (NANCY, 2008, p. 43). 

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Notas

[1] Je me réfère bien évidemment à la très jolie formule de Ainsi parlait Zarathoustra où Nietzsche affirme : « Le désert croît. Malheur à qui recèle des déserts » (NIETZSCHE, 2000, p. 596). Cette formule sera reprise par Heidegger qui en fera un manifeste de la pensée nietzschéenne : par cette affirmation, dit Heidegger, Nietzsche « écrivait tout ce qu’il savait [alles gescrieben, was er wusste] » (Heidegger, 1959, p. 48).

[2] Je fais allusion à tous les usages de ce termes contemporaines du premier romantisme allemand ou de l’idéalisme, comme chez Jacobi, qui accusait Fichte d’être nihiliste, ou chez Schlegel, qui dit que « tout jeu de l’esprit [Witz] tend au nihilisme » (cité en JEAN-PAUL, 1979, p. 49) car il génère ce détachement du fini qui ouvre le chemin à l’infini, ou encore chez Jean Paul, qui fait coïncider romantisme et nihilisme, au sens que le premier impliquerait un jeu d’autocélébration et un égocentrisme de l’imagination qui nie la réalité (cf. JEAN-PAUL, 1979, p. 48). Enfin, le nihilisme s’allie pendant toute cette période à l’excès rationnel. Cf. Benoit, 2012 ; SEVERINO, 1995; D’AGOSTINI, 2000;  VOLPI 2009.

[3] Tel est le constat fait par Adorno à propos de l’usage du mot « nihilisme » : Nietzsche « l’utilisait pour dénoncer le contraire de ce que signifiait ce mot dans la praxis des conjurés [russes], pour dénoncer le christianisme comme négation institutionnalisée de la volonté de vie » (Adorno, 2001, p. 363).